Monnaie : repartir avec des principes adaptés à notre époque


Le système monétaire mondial se fragilise. Il nous impose de repenser l’idée que nous nous faisons de la monnaie en de début de 3éme millénaire. Les idées se clarifient, reste à formaliser le parcours d’évolution et de définir les urgences : climatiques ou sociales ou les deux à la fois ?

Publié le 19 juillet 2022 par Geneviève Bouché


La cohésion, prérequis à des projets ambitieux

L’Homme est un mammifère qui ne peut vivre seul. Il est contraint de vivre en petites tribus d’une douzaine de personnes. Pour que l’efficacité de la tribu soit optimisée, il faut développer la cohésion du groupe. C’est pour cela qu’ils se réunissaient dans des grottes pour psalmodier des prières et chanter. Cette pratique décuplait la mise en synergie active du groupe.

Chassés par les loups, ils ont construit leurs propres grottes acoustiques dont les versions récentes sont nos cathédrales. C’est ainsi qu’ils se sont sédentarisés.

 Ils ont créé l’agriculture et l’artisanat et la notion de surplus dédiés aux échanges afin de se procurer ce qu’ils n’ont pas. 

La monnaie, une affaire de confiance dont l’État est le garant

Pour simplifier les échanges, ils ont inventé la monnaie. Mais, pour qu’une monnaie fonctionne, il faut que les utilisateurs aient confiance dans le climat social, économique et politique, ainsi que dans l’instrument d’échange lui-même.

Les échanges peuvent mal se passer et alors, ils génèrent de la violence. Au fil du temps, les états se sont octroyé le monopole de la violence afin de favoriser la confiance sociale et économique. Ils se sont fait reconnaître comme le garant de la monnaie en circulation dans leur zone d’autorité.

Avec l’essor des usines autour des villes et donc l’urbanisation, cette dimension du vivre ensemble s’est égarée. Les voisins ne se connaissent guère et les églises ont perdu peu à peu leur fonction de mise en cohésion de leurs paroissiens.

 

Nécessité de recomposer la cohésion, mère de la confiance

Plus rien n’entretient cette cohésion pourtant vitale. Ceci laisse le champs libre à l’intensification des outils de soft power qui se propage à travers les supports culturels comme le cinéma et la distribution des livres, les réseaux sociaux et les plateformes de vidéo. Ainsi, des entreprises privées (ou déclarées comme telles) manipulent le public à leur convenance à travers le monde.

Lorsque des opérateurs économiques deviennent plus puissants que des états par leurs capacités financières mais aussi d’influence, le citoyen a raison d’avoir peur et cette peur les rend irrationnel.

 

Quelles monnaies pour quel modèle de société

La monnaie est le propre de l’Homme. Les autres organismes vivants font des échanges, mais sans monnaie.

Celle que nous connaissons a été conçue pour une économie agraire et artisanale. Sa gouvernance a évolué avec l’avènement de l’industrie : elle s’est complexifiée en raison de l’augmentation des volumes et de la vitesse de circulation. Elle devient ingérable avec le développement de l’économie de l’immatériel. « L’industrie financière » considére la monnaie comme une marchandise et non comme une « hormone de prospérité ».

 

Il devient donc nécessaire de remettre à plat notre réflexion sur cette « hormone de prospérité ».

En effet, les mécanismes de création de valeur dans ces formes successives d’économie sont très différents. Si en agriculture, la production dépend pour une large part du climat et de la qualité des sols, dans l’industrie la pression sur les fournisseurs et les travailleurs y est déterminante. Dans l’économie de l’immatériel, la complaisance de la finance y joue un rôle rédhibitoire.

La forme d’économie actuelle est basée sur le profit. Cette notion a fait sens dans les économies antérieures car elle favorisait l’esprit d’initiative et la recherche de l’excellence. 

Notre ingéniosité nous a permis de devenir de plus en plus efficaces pour satisfaire les besoins primaires du plus grand nombre. Mais si, pour poursuivre notre évolution, le challenge consiste à permettre au plus grand nombre de révéler ses talents et enraciner du savoir, alors, il faut repenser nos mécanismes de récompense pour chaque forme de création de valeur.

 

Revenir au plus près du système de vie

Nous n’allons pas revenir au temps des tribus puisque chacun de nous devient « multi-tribu ». Nous avons néanmoins besoin de collectifs avec des « us et coutumes » adaptées à nos contrées respectives, ce qui permet de  nous mettre en concurrence créatives d’un collectif à l’autre. 

Par ailleurs, certaines formes de création de valeur ont des usages sociaux économiques différents : une part constitue le nécessaire pour permettre au plus grand nombre de vivre correctement, sans jalouser ses voisins, et le surplus permet de faire du commerce avec les voisins. Une autre part n’a qu’une valeur locale et collective : développer le vivre ensemble, favoriser le progrès et rendre la collectivité attractive afin qu’elle ne fasse pas fuire ses enfants et qu’elle soit en mesure d’accueillir de quoi assurer son renouvellement génétique et culturel.

Les créations de valeur à usage local ne doivent peut délocalisées : ce sont les activités contributives (famille, savoir et innovation, démocratie et spiritualité) et empathiques (résolutions de conflits sanitaires, juridiques et environnementaux).

Pour le moment, nous cherchons à faire un peu tout avec une monnaie supposée omnipotente, ce qui abouti à un étouffement. Nous devons donc penser librement l’évolution de la monnaie en repartant de nos besoins fondamentaux propre à la phase de notre évolution que nous abordons.

Pour nos lointains aînés, le besoin fondamental était la cohésion de la tribu.Puis, avec la sédentarisation, le besoin a été l’organisation du travail pour assurer les besoins primaires du plus grand nombre.À présent, le besoin exprimé par les générations montantes, consiste à ce que le plus grand nombre libère ses talents et contribue au patrimoine de connaissances de la communauté afin qu’elle soit agile et spirituelle. 

Cette priorité appliquée à la monnaie

Le système monétaire mondial se fragilise parce qu’il est géré avec des théories qui ont fait sens à l’époque où elles ont été élaborées et qu’elles convenaient à ceux qui étaient en état de les imposer.

Les projets de monnaies alternatives ne manquent pas. Ils sont proposés par des « solutionistes » qui conjuguent à la fois des considérations mathématiques – algorithmiques, technologiques et politiques, avec une vision des siècles antérieurs que les générations montantes considèrent déjà comme puérile : « devenir le maître du monde » !

Les projets qui nous intéressent sont au contraire pragmatiques : quelle est l’enfilade de besoins que nous devons satisfaire et avec quels instruments allons-nous favoriser leur accomplissement ?

Les travaux des « solutionistes » permettent de gagner du temps dans la mesure où ils explorent des approches technologiques qui explorent le potentiel des monnaies intelligentes dont nous allons avoir besoin. Mais le travail de fond reste à faire : quelle hiérarchie de priorités devons-nous favoriser pour devenir une terre attractive.

Favorisons l’effervescence intellectuelle des think tanks. Si nous ne nous penchons pas sérieusement sur ce défi, un pouvoir autoritaire et grossier le fera à notre place et nous regarderons notre passé avec envie … Nos enfants nous en ferons de lourds reproches.